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Un peu tendu, je me demande ce que je vais voir, entendre, découvrir et ceux que je vais côtoyer. Agglutiné aux autres, je n’ose m’échapper du groupe.

Tout nous sépare. Ils habitent le cantonde  Vaud, je suis du Jura. Tous, ou presque, son dans l’enseignement.
Je suis pasteur. Certains athées, d’autres très croyants, je suis au milieu, pragmatique.
Nous sommes 16 hommes et femmes de milieux différents. La mayonnaise doit prendre. Elle a pris.

Nous avons manipulé l’humour, parfois grinçant, pour exorciser cette misère qui s’offre en spectacle quotidien. L’eau coulera t-elle à la douche ? Sera-t-elle chaude, vaguement tiède ou froide ? Un filet d’eau froide coule. Ce sera une douche rapide et partielle.

Le confort, tout relatif, nous ramène cinquante ans en arrière. Le groupe se forme ; les relations se tissent à géométrie variable. Le premier débriefing est sévère. La révolte, la colère, la tristesse. Nos sens sont sans dessus dessous.
La prière est le ciment de ceux qui n’ont rien. Sans elle, il n’y a rien, même plus d’espoir. Au sein du groupe ce trop se fait sentir. Certains s’en distancient avec force.
Nous ne sommes pourtant pas chez nous. Nous sommes des hôtes. La prière et la méditation sont l’essence même de l’espérance d’un peuple contraint de réussir tandis que nous, nous pensons que nous n’en avons plus besoin. Et patatras…

Voici que nous chantons avant tous les repas. la foi aurait elle eu raison de la Raison ? Si oui, c’est que la Raison ne supporte plus l’impertinence de la misère. Ce sera notre ciment. Le groupe évoluera au grès des visites, des rencontres, des expériences…

Visiter des orphelinats, maison d’accueil, des écoles où nous travaillerons trois matinées de suite.
La découverte commence au pas de charge.
La ville n’a rien à voir avec celle que nous connaissons chez nous.
Des rues, des ruelles, des caniveaux emplis d’immondices, fermentant sous l’effet de la chaleur… Ecoeurant.

Les rues sont sales, les bas-côtés sont sales. Des plastiques se sont déposés partout.
Les femmes lavent leur linge près d’une borne fontaine ou dans un lac voire même la rivière.
Le linge sèche au soleil à même le sol, près des détritus.
Des gens pauvres, misérables, souriants pour certains; des voitures et des bus taxis  jaunes  à ne plus compter.
Des mobylettes, des charrettes pleines de fruits, de légumes, de bois, de fer.
Des camions, souvent en panne. Des piétons… tous cela allant et venant en tous les sens.

Le capharnaüm pour l’européen que je suis…

La priorité à droite est aléatoire. Chacun s’adapte. Et ça fonctionne !
Voilà… j’ai dis le mot, s’adapter !
Il le faut. Tout est si … différent !
Le long des rues et des ruelles, de multiples échoppes de riz, de viandes, de légumes, de fruits.
De moteurs démontés, de bric-à-brac.
Je comprends vite que les systèmes « débrouille et système D » fonctionne plein gaz.
Les étals rendent les rues attrayantes. Les gens s’y promènent, font leurs achats, essaient de s’en sortir comme ils peuvent.

Le peuple est travailleur et pourtant la misère est là, sous nos yeux.
Des hommes, des femmes, des enfants fouillent les poubelles. Il ne reste rien.
Tout est recyclé, absolument tout !

Pour résister à ce spectacle permanent, je découvre de la beauté en toute chose, en chaque personne.
Je dépasse le réel pour découvrir ce qui se cache sous la poussière, la crasse et la pollution.
Des personnes, des rires, des sourires, des « tonga soa »… Malgré ici ou là un « go home » ou un bras d’honneur.

Je n’avais aucune idée de ce que je découvrirais.
J’ouvre donc les sens et je palpe l’environnement. Je m’imprègne. Je vibre à chaque image, à chaque rencontre.
Ma raison se vide de certitudes bien de chez nous pour en gagner de nouvelles, étrangères.
Je découvre l’envie de découvrir ; l’envie de savoir, de comprendre, d’exister à côté de ces gens que je ne connaissais pas.
Je veux voir, lire, entendre, partager…
Au hasard d’un après-midi de libre, je découvre un village.
Je quitte la nationale 7 pour prendre la N2 et finis sur une piste aux ornières indescriptibles.
La voiture soulève une poussière rouge comme la terre.
Au temple, une quarantaine de personne nous attendent. Nous avons deux heures de retard.
La doyenne est là, 90 ans, les cheveux blancs, souriante. Je prends une photo, un portrait. Elle est radieuse.
Je suis content, satisfait, une partie d’elle-même ira en Suisse.
Tout le monde rit.

La communauté à prévu d’acheter 10 bêches, 2 pulvérisateurs et 2 bineuses à main ceci grâce à des dons; la paroisse offrira les manches en bois. Un comité gère la location du matériel, très sollicité.

Le village au nom imprononçable, Ambohimahatsinjo, se prononce comme pour l’écrire ?
Amboutch, peut-être….
Quelque chose comme cela. Les maisons sont rouges, comme cette terre dont elles sont extraites ; les toits sont pourvus de végétation sèche. 
Les enfants sont beaux, le vêtement est sale.

La séance photo commence. Farouches ou espiègles, ils jouent. Ils posent.

Là, une maman avec ses jumelles «les kambana ». Elles se développent mal.
Des signes de rachitisme se font voir. La maman travaille à la maison sur un improbable métier à tisser aussi artisanal que déroutant.
Mais tout est là, dans la tête ! Pas de plan, ni d’esquisses. Les motifs, les espaces, tout dans la tête. La navette file avec entrain et le travail se réalise sous nos yeux épatés, médusés, reconnaissants.
Il y a de la joie dans les regards.

Nous leur faisons l’honneur de les voir eux, dans leur vie et leur maison, sans jugement, sans préjugés, nous, les occidentaux aseptisés.

Je repars éblouis. Je me laisse aller le jour ou, pour la première fois, nous nous arrêtons deux nuits au bord de l’océan indien.
J’ouvre ma porte pour accueillir le soleil levant, devant l’immensité de cet océan.
Pour la première fois, je laisse couler mes larmes d’émotion. Je ne puis me retenir davantage…

Je suis rentré le cœur en paix. Je reviendrai…
Mais la question reste : - et maintenant ?

Maintenant, je fouille cette expérience du regard.
Mes yeux scrutent chaque moment, chaque instant.
Des personnes, des lieux, des odeurs, des couleurs reviennent et sont passés au crible.
Mon cœur est gros et je m’arrête sur Amboutch – Ambohimahatsinjo.
L’eau !

L’eau potable fait défaut. Il faut plus de 20 minutes pour aller chercher l’eau quotidienne, pour boire, laver les légumes, cuisiner…
C’est une eau de surface.
Pas de toilettes.
Les gens font leurs besoins dans la nature. L’eau est polluée.

La moyenne d’âge des habitants est de 30 ans…

De retour, je me lance… Moi, ici… Justement !
Moi !
Et si je pouvais rétablir ce réseau en panne faute de moyens.
Le service technique de l’Eglise nationale se déplace.
L’étude technique montre les défaillances, les manques et repense l’ensemble.
En prévoyant aussi la construction de latrines.

Les gens doivent être responsabilisés. Ils creuseront les tranchées.
Un comité de gestions sera mis sur pied.
Un peu d’argent rentre ici. Je me lance.
Je fonde une association et ouvre un compte.
L’aventure commence. L’aventure continue. Elle se réalisera.
Une force dépasse l’entendement. L’eau coulera.

Je serai là le jour où, le premier robinet sera tourné, et, le jour où le premier tour de manivelle sera donné pour faire jaillir cette eau venue des profondeurs.

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